jeudi 20 décembre 2012

Double peine

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Pierre Pestieau

Le vieillissement s’accompagne d’une augmentation des risques de perte d’autonomie, avec pour corollaire l’accroissement des situations de dépendance ; l’aide pour les activités du quotidien devient alors indispensable. Du fait de leur surnombre, parce qu’elles vivent plus longtemps que les hommes et sont plus souvent en situation de dépendance aux grands âges, les femmes sont aujourd’hui les principales bénéficiaires de l’aide à domicile. Elles en sont également, à un stade moins avancé de leur cycle de vie, les principales pourvoyeuses au sein de la famille (1).

D’après les chiffres de mortalité observés en France en 2010, les femmes qui ont atteint 65 ans peuvent espérer vivre encore 23 ans et les hommes 18,5 ans. La surmortalité masculine se traduit par une surreprésentation des femmes dans la population âgée, d’autant plus grande que l’âge augmente : en 2010, elles représentent 60 % des personnes âgées de 75 à 84 ans, 70% des 85 à ­94 ans et près de 85% des 95 ans et plus.

Les femmes sont aussi plus souvent confrontées à des problèmes de santé et des incapacités définies comme des difficultés à réaliser seules des activités de la vie quotidienne. Leur espérance de vie est plus longue certes, mais si on adopte le concept d’espérance de vie en bonne santé, à savoir de vie en pleine autonomie, les femmes surpassent à peine les hommes.

Les démographes étudient en effet combien de temps les populations peuvent espérer vivre en bonne santé : c'est ce qu’ils appellent « l'espérance de vie sans incapacité ». Chose étonnante, et à la différence de l’espérance de vie classique, cette espérance de vie sans incapacité diminue depuis quelques années. Elle serait passée de 62,7 à 61,9 ans entre 2008 et 2010 pour les hommes ; et de 64,6 à 63,5 ans pour les femmes. L’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) qui relève ces évolutions note qu’elles se vérifient dans d'autres pays européens (2).

La raison pour laquelle les femmes ont une période de dépendance sensiblement plus longue que les hommes peut en partie s’expliquer par le fait que lorsqu’elles sont âgées de 50 à 65 ans, elles doivent souvent s’occuper de leurs parents ou de leurs beaux parents et parfois de leur mari. Or on s’aperçoit de plus en plus que ces soins sont extrêmement épuisants sur le plan physique et psychologique. Lorsque ils sont prodigués à des personnes souffrant de dépendance lourde, on observe que, trop souvent, ces « aidants naturels » ne s’en remettent jamais et tombent eux-mêmes dans la dépendance. Or ces dépendants naturels sont pour la plupart des femmes.

Pour dire les choses autrement, si nos Etats providence disposaient de meilleures infrastructures d’accueil pour les cas de dépendance lourde, il est vraisemblable que les femmes pourraient vivre plus longtemps sans incapacité et éviter ce qu’il faut bien appeler une double peine.

(1) Carole Bonnet, Emmanuelle Cambois, Chantal Cases, Joelle Gaymu, La dépendance : aujourd’hui l’affaire des femmes, demain davantage celle des hommes ?,  Population et Sociétés 483, 2011.


Joyeux Noël

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Victor Ginsburgh

Rien de pire que les achats qui se déposent sous le sapin. C’est non seulement un casse-tête : Que faut-il acheter, n’avons-nous oublié personne, cela leur plaira-t-il, le budget est dépassé, mais tant pis, on se serrera la ceinture en janvier, février, mars et avril. Après, le beau temps revient et on pourra réduire le chauffage.

Premier conseil donc : S’il le faut vraiment, achetez plutôt en janvier.

D’abord, en janvier, ce sont les soldes. Et puis, le bruit, la musique (si c’est ainsi qu’il faut appeler les chants de Noël), les lumières clignotantes dans les branches des faux sapins des boutiques de décembre, sont vraiment insupportables.

Sachez que c’est fait exprès. Plus il y a de bruit, de monde et de lumière, plus vous souffrez, plus vous perdez le contrôle de vous-même, et plus vous dépensez vite et mal. C’est en tout cas ce qu’ont découvert des chercheurs en marketing (1) : « une stimulation plus importante que celle qui est désirée [par exemple le bruit] a un impact positif sur les achats impulsifs ».

Et puis, selon le New York Times (2), on vous envoie en outre des odeurs pour vous encourager à acheter. Pour la période de Noël, les sprays de gingembre (pain d’épice) et d’amandes (massepain) sont particulièrement recommandés.

 N’achetez en tout cas pas vos cadeaux avant Noël, mais notez qu’après Noël, ça fait un peu minable, donc n’achetez rien du tout.

Parce que, et c’est le deuxième conseil, il faut savoir que ceux qui reçoivent les cadeaux estiment qu’ils ne valent pas leur prix.

Dans un court article paru en 1993, Joel Waldfogel (3) montre que les cadeaux sont malvenus, peu appréciés. Ils sont aujourd’hui largement revendus sur e-Bay par ceux qui les ont reçus et ont été obligés de remercier les oncles, tantes, parents ou enfants et grands parents s’ils sont encore là. Waldfogel se livre à deux enquêtes parmi des étudiants de Yale et leur demande d’évaluer ce qu’a pu coûter le cadeau qu’ils ont reçu et combien ils auraient été disposés à payer pour l’acquérir eux-mêmes. La différence s’élève à quelque 20%. Ce qui veut dire que celui qui reçoit le cadeau l’aurait (peut-être) peut-être acheté s’il avait coûté 20% de moins. Et ce chiffre monte à 35% pour les cadeaux généreusement offerts par les oncles, tantes et grands-parents.

Moralité : Surtout n’achetez pas de cadeaux et si vous voulez quand même ne pas paraître avare, donnez en monnaies sonnantes et trébuchantes, en drachmes par exemple, nos honnêtes banquiers prévoient que le cours va monter. Cela vous évite tous les maux de tête évoqués plus haut, et rend plus heureux ceux qui reçoivent, parce qu’ils peuvent en faire ce qu’ils veulent, tout en pensant à vous.

C’est du win-win comme on dit en mauvais français. Joyeux Noël quand même si vous croyez encore au Père du même nom.

(1) Anna Mattila and Jochen Witz (2008), The role of store environmental stimulation and social factors on impulse purchasing, Journal of Services Marketing 22, 562-567.
(2) Oliver Burkeman, Suffer. Spend . Repeat, The New York Times, December 8, 2012.
(3) Joel Waldfogel (1993), The deadweight loss of Christmas, American Economic Review 83, 1328-1336.

jeudi 13 décembre 2012

Condamnation pour mauvaises prévisions d’éclipse de soleil, de tremblement de terre et de montée des océans

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Victor Ginsburgh

Les Chinois avaient observé depuis longtemps l’existence d’éclipses solaires, mais pensaient qu’elles étaient dues à un dragon invisible qui dévorait le soleil. Lorsque l’éclipse était prévue, les autorités impériales s’y préparaient en réunissant des batteurs de tambours et des archers. Les premiers faisaient grand bruit, les autres décochaient des flèches vers le ciel, ce qui était censé effrayer le dragon. Et le miracle arrivait, puisque quelques minutes plus tard, le soleil revenait.

Hélas, en l’an 2134 (ou 2136) avant J.C., les astronomes chinois Hsi et Ho n’ont pas prévu l’éclipse solaire qui allait se produire et l’empereur mécontent de cette faute les a fait décapiter, en dépit du fait que le soleil se soit remis à briller.

Evidemment, la chose n’est pas pareille lors d’un tremblement de terre, puisque les dégâts qu’il produit ne se réparent pas tout seuls. Il est donc logique, comme l’ont fait les juges italiens après le tremblement de terre de L’Aquila de ne pas guillotiner les géophysiciens, mais de les condamner « simplement » à des peines de six ans de prison pour n’avoir pas donné des informations plus précises sur un événement qui est par essence imprévisible (1). Ceux qui ont construit des bâtiments non conformes dans une zone réputée pour ses tremblements de terre n’ont, dieu merci, pas été inquiétés.

Reste à punir les experts du GIEC, qui avaient mal prévu la montée du niveau des océans. Ils parlaient il y a peu de 2mm par an, et viennent de découvrir que c’est 3,2mm (2). Il faut les pendre illico, avant qu’on ne s’aperçoive que c’est 5mm par an.

Voilà ce qu’est le bras de la justice.

Mais alors que les astronomes chinois se sont sans doute trompés, et que les géophysiciens italiens et les experts du GIEC ont été trop prudents, George W. Bush, président et Dick Cheney, vice-président ont menti sans vergogne sur les fantomatiques armes de destruction massive, ont provoqué la mort d’au moins 100.000 Irakiens—sans doute bien plus—et de quelque 4.500 soldats américains, auxquels s’ajoutent les blessés, les éclopés, les malades mentaux et les centaines de soldats qui ont fini par se suicider. Mais Bush et Cheney sont libres, retirés tous deux dans leur ranchs du Texas, en train de rédiger leurs glorieux exploits.

Comme ont menti la plupart des directeurs de banque qui n’ont peut-être pas tué mais ont provoqué la misère qui dure depuis cinq ans.

Le seul qui ait dit la vérité, le seul honnête homme de toute cette bande de requins, c’est notre ami Maurice Lippens ancien Président du Conseil d’Administration de Fortis, retiré dans son ranch de Knokke-le-Zoute. Lors de son audition par les enquêteurs de la police fédérale, il a déclaré, il y a quelques semaines de cela : « Je n’ai jamais été banquier et ma compréhension de ces matières est relativement superficielle » (3). Ce n’est donc pas lui qui a pu mentir à tous ceux qui ont acheté des actions Fortis, et qui se sont retrouvés le cul nu. On aimerait quand même savoir combien il a été payé durant les 27 années (1981-2008) passées au Conseil d’Administration de cette société dont il n’a qu’une connaissance superficielle.

En attendant mieux, Jean-Paul Votron, Herman Vewilst, Gilbert Mittler, Filip Dierckx, tous anciens responsables à des titres divers dans lesquels je me perds, et, ne l’oublions pas, Maurice Lippens, ex-président du conseil d’administration de Fortis,  actuel joueur de golf au Zoute qui n’y connaît rien en affaires bancaires, ont tous, enfin, été inculpés par le juge d’instruction (4).

Et pendant ce temps-là, Dehaene, ex-président de Dexia, imitant en cela l’inénarrable Sarko, s’exerce paraît-il à la course à pied dans sa belle ville de Vilvorde. On peut espérer qu’il ne perd rien pour attendre, parce que rien ne sert de courir, il aurait fallu partir à temps.

Comme la justice d’ailleurs.


 (1) Le tribunal italien a accusé les « coupables » d’avoir donné des informations « peu précises, incomplètes et contradictoires » une semaine avant le tremblement de terre. Voir http://edition.cnn.com/2012/10/23/world/europe/italy-quake-scientists-guilty/index.html
(2) RTBF, 28 novembre 2012.
(3) L’Echo, 17 novembre 2012.
(4) Agence Belga, 5 décembre 2012.

Quel téléthon!

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Pierre Pestieau

Cette contrepèterie facile vient à l’esprit quand on a vu et surtout écouté l’animateur du 26ième Téléthon. Le weekend dernier, les 7 et 8 décembre 2012, s’est en effet déroulée cette manifestation annuelle sur les chaines publiques françaises et partout en France.

Qu’en penser ? Rien que du bien. Naturellement. Quoique… aurait dit le tant regretté Raymond Devos.

Je ne sais pas encore si le record des dons sera atteint. Record par rapport à quoi ? Mais ce que je sais c’est que le record de bêtises sur le sujet a été franchi. Les journaux, les radios et les télévisions publiques et privées ont consacré de nombreux articles ou de programmes à la charité. Et cela a donné lieu à un débordement de propos chauvins et inexacts dont le plus emblématique est que la France est le pays le plus généreux qui soit et qu’il le devient de plus en plus.

Il est incontestable que le téléthon  porte sur des problèmes de santé pour lesquels les financements manquent cruellement. Par financement, je vise le financement public. L’Etat a une fâcheuse tendance à ne pas s’investir dans des domaines statistiquement peu visibles ou politiquement peu rentables. On sait ainsi que pour des handicaps lourds comme l’autisme, la schizophrénie, ou la trisomie, il y a un manque criant d’infrastructures d’accueil et que c’est dans ces domaines que des associations caritatives sont présentes. Pour certains de ces handicaps, on entend parfois dire que l’accueil est meilleur aux Etats-Unis et plus généralement dans les pays anglo-saxons dont les Etats providence sont beaucoup plus discrets qu’en France ou en Belgique. Or aux Etats-Unis les structures d’accueil sont financées par le mécénat et les contributions caritatives. Sans aucun doute mais deux remarques sur ce point. D’abord, les Etats-Unis dépassent nettement l’Europe dans les dons et ce pour diverses raisons : la culture, la fiscalité et la richesse du pays.  Ensuite, malgré cela, ces structures sont insuffisantes.

Pour revenir à notre bonne vieille Europe, je trouve désolant de voir sur les plateaux de télévision des hommes politiques se pavaner alors qu’ils devraient se démener au parlement et au gouvernement pour que la sécurité sociale prenne en compte ces problèmes. L’Etat ne peut pas tout mais il devrait en tout cas pouvoir cela. Et d’une certaine manière même si les fonds récoltés ont une utilité certaine, il est vraisemblable qu’en y participant, les différents acteurs se donnent bonne conscience et pensent que cela les dispense d’exiger des pouvoirs publics qu’ils fassent leur boulot.

Pour conclure, il existe un indice de générosité et de bénévolat qui regroupe trois pourcentages calculés sur la population totale, celui du nombre de donateurs (en argent), celui du nombre de bénévoles (en temps) et celui du nombre de personnes ayant aidé un étranger durant le dernier mois. Viennent en tête, l’Australie et la Nouvelle Zélande avec un score de 57%. Les Etats Unis sont 6ième avec 55% ; la Belgique 51ième avec 36% ; et la France, si généreuse, est 93ième avec 27%. Bien sûr, on sait les limites de tout classement.


jeudi 6 décembre 2012

Deux économistes d’influence. Du clavier au cambouis

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Pierre Pestieau

A Paris, nous avons Thomas Piketty qui dans un ouvrage remarquable présente une vision cohérente de ce que devrait être une fiscalité moderne (1). Rien à redire. La droite peut préférer des taux moins élevés, la gauche des taux plus élevés. Mais la structure de la reforme qu’il propose fait l’unanimité. Il rejette le système actuel qu’il qualifie d’ubuesque : truffé d'exceptions, avec des taux officiels très élevés sur la petite partie non dérogée qui est soumise au droit commun. Il s’offusque de ce que le gouvernement Ayrault n’aille pas dans le sens de la simplification et de la transparence qu’il réclame. En conservant au système complexité et confusion, chacun cherche ainsi à tirer la couverture à lui et défend sa niche, au détriment de l'intérêt général.

De l’autre côté de l’Atlantique, au Québec, nous avons un autre spécialiste des finances publiques de grande qualité lui aussi, Nicolas Marceau (2). La différence, c’est que lui vient d’accepter d’entrer dans le nouveau gouvernement péquiste et affronte la dure réalité du monde politique, de ses contraintes et de ses compromis.

Dès l’abord, il lui a fallu renoncer à la réforme globale dont il rêvait (et qu’il enseignait) et s’attaquer à des mini réformes. Son premier objectif a été d’éliminer une taxe régressive, la trop fameuse taxe santé (3); mais il lui fallait compenser le manque à gagner en augmentant les taux d’imposition pour les contribuables qui gagnent plus de $130 000 et en taxant davantage les gains en capital et les dividendes. Pour accélérer le processus, il a procédé  rétroactivement. Cette rétroactivité n’est pas passée inaperçue dans l’opinion et il lui a fallu « rétropédaler » du fait de la position minoritaire de son parti. La taxe santé sera maintenue mais plutôt que d’être uniforme elle sera modulée en fonction des revenus. L’aventure ne fait que commencer et on ne peut que lui souhaiter bonne chance. Il n’est pas facile de mener une politique fiscale progressiste en Amérique du Nord.
La morale de cette comparaison ? Il n’y en a pas. On a besoin de bons chercheurs dans le domaine des finances publiques, qui à l’aide de leur clavier enrichissent la réflexion ; on a besoin de passeurs d’idées qui envoient des messages aux citoyens et aux politiques; et on a besoin d’hommes politiques compétents et courageux qui n’hésitent pas à plonger leurs mains dans le cambouis.
Une dernière réflexion sur la rétroactivité qui a attiré sur Nicolas Marceau un feu nourri de critiques. Qu’elle soit impopulaire n’est pas surprenant. Qu’elle ne soit pas juridiquement possible est vraisemblable. Elle peut néanmoins se justifier au nom de la justice distributive. Supposons qu’un gouvernement libéral décide de supprimer les droits de succession et qu’après un certain nombre d’années, le vent tourne et les successions sont à nouveau imposées. Il ne me semblerait pas injuste de se retourner en partie sur les successions passées qui ont échappé à toute imposition. On oublie souvent que le respect des droits acquis (ce que les Américains appellent le « grandfathering ») enlève beaucoup d’efficacité aux réformes. Mais c’est la une question qui mérite plus que quelques lignes.
Nicolas Marceau vient de déposer son projet de budget. Il a été bien accueilli par la gauche mais a attiré de la droite des commentaires du type : « Le budget de Nicolas Marceau va donner des ailes aux Québécois qui veulent quitter le Québec » ou encore « Ce budget va faire du tort aux Québécois qui gagnent $150 000 ou plus ».  Soit la couche de Québécois la plus mobile de la société. On connaît la chanson.

(1) Thomas Piketty , Emmanual Saez et Camille Landais, Pour une révolution fiscale, Paris : Le Seuil, 2011.
(2) Voir notamment Nicolas Marceau et Michael Smart, Corporate Lobbying and commitment failure in capital taxation”, American Economic Review 93 (2003), 241–251.
(3) Il s’agit d’une taxe uniforme de $200 par contribuable introduite par le gouvernement libéral. Seuls les très pauvres étaient exemptés.

Pour un monde plus égalitaire : Dans quelles conditions partage-t-on les billes ?

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Victor Ginsburgh

Les chercheurs de l’Institut Max Planck d’Anthropologie Evolutionniste viennent de procéder à une expérience singulière qui devrait nous inspirer (1).

Deux jeunes enfants sont mis chacun devant un godet et font face à un appareil qui contient des billes qu’ils peuvent voir. De chaque côté de cet appareil pend un morceau de corde qui actionne (ou n’actionne pas) la chute des billes dans les deux godets. Lorsqu’un seul des deux enfants tire sur la corde, rien ne se passe. Mais s’ils tirent en même temps, les billes se mettent à tomber dans les godets : une bille dans l’un, et trois dans l’autre. Cette expérience est répétée un certain nombre de fois et montre que dans 75% des cas, les enfants finissent pas se répartir les billes : ou bien celui qui est « riche » de trois billes en donne spontanément une au « pauvre » qui n’en a reçu qu’une seule, ou bien le pauvre demande une bille au riche qui la lui donne sans difficulté. Un monde égalitaire qui pourrait se perpétrer, sauf que...

Dans la deuxième expérience, les conditions sont les mêmes, à ceci près que les billes sont déjà présentes dans les godets, une chez l’un des enfants et trois chez l’autre, sans qu’aucun ne doive faire l’effort de les y amener. Ici, celui qui a reçu trois billes est prêt à en donner une au pauvre dans 5% des cas seulement.

Dans une troisième expérience, il faut à nouveau faire tomber les billes, sauf que les deux cordes ne sont pas solidaires. Celui qui tire sur sa corde, voit arriver sa ou ses billes, une chez l’un, trois chez l’autre. La différence est qu’ici il y a effort, mais pas collaboration comme dans la première expérience, et les enfants le comprennent évidemment. Ils partagent cependant les billes dans 30% des cas.

La collaboration dans l’effort semble mener au partage plus souvent que dans les deux autres situations. Cependant, les mêmes expériences faites avec des chimpanzés montrent qu’il n’y a jamais partage a posteriori.

Pour expliquer ces résultats troublants, les chercheurs de l’Institut Max Planck font l’hypothèse que l’évolution aurait amené les humains à collaborer. Il y a quelque 500.000 ans, notamment lors des chasses et des cueillettes, ils se seraient rendus compte que la collaboration produisait des résultats supérieurs ; des relations stables entre individus se seraient ainsi forgées, pour autant que les « gains » soient partagés : un individu ne peut pas en « rouler » un autre si tous deux savent que la situation (ou le jeu)  sera « répétée ».

N’y aurait-il dans ce monde actuel plus personne qui veuille aller cueillir des cerises avec nous ?

(1) L’expérience est décrite dans Jonathan Haidt, How to get the rich to share the marbles, New York Times, 20 février 2012.

jeudi 29 novembre 2012

Les hasards du calendrier belgo-israélien

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Victor Ginsburgh

Le 26 novembre 2012, quelques jours après la guerre de Gaza et ses morts, on a inauguré à Malines (Belgique) un « Mémorial, Musée et Centre de Documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’Homme » (1). Ce musée sera ouvert au public dès le 1er décembre 2012.

Au deuxième étage du musée, on nous montre

« des photos de l’apartheid en Afrique du Sud pendant la période 1948-1990 et de la ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis jusqu’au début des années 1960. La situation en ces lieux n’est d’ailleurs pas sans analogie avec la politique menée à l’égard des Juifs d’Allemagne dans les années 1930. Qu’une telle discrimination officielle mène parfois à la violence apparaît également dans les photos de lynchage de noirs aux Etats-Unis (en particulier celle où l’on voit des femmes et des enfants qui rient) ».

Exactement un jour après cette inauguration, dans son édition du 27 novembre, le journal israélien Haaretz (2) rend compte de la situation suivante :

« Il y a quelques jours, un autobus d’une compagnie d’autobus publics qui dessert les colonies (settlements) dans les territoires occupés (West Bank), a été forcé de s’arrêter à un barrage routier, près d’une des colonies. La police qui a évoqué des raisons de sécurité, a ordonné à tous les passagers palestiniens de quitter le bus, les forçant de poursuivre à pied les quelques kilomètres qui les séparaient du point de contrôle (check-point) suivant, et de prendre à partir de là un taxi pour rentrer chez eux.

« Cette situation s’est étendue et la police force les Palestiniens munis de permis de travailler en Israël de descendre des autobus de la ligne Tel Aviv- territoires occupés, suite à des plaintes déposées par des colons, sous prétexte que les Palestiniens posent un problème de sécurité.

« Le Ministère des Transports se propose d’ajouter entre les points de contrôle et le centre d’Israël des lignes d’autobus qui seront réservées aux travailleurs palestiniens qui viennent travailler en Israël ».

On peut espérer que d’ici l’ouverture officielle ce 1er décembre, le nouveau Musée consacré à l’Holocauste, mais aussi aux Droits de l’Homme et à l’apartheid, se fera un devoir de mettre quelques photos de cette ségrégation entre Juifs et Palestiniens aux murs de son deuxième étage.


(2) Police order Palestinian workers off buses to West Bank, at request of Israeli settlers. Voir http:// http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/police-order-palestinian-workers-off-buses-to-west-bank-at-request-of-israeli-settlers.premium-1.480741

Ils sont fous ces Américains

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Pierre Pestieau

On sait que la phrase légendaire d’Astérix « ils sont fous ces Romains » vise dans l’inconscient collectif français les Américains, ou plus généralement les peuplades qui vous dominent, que l’on hait et jalouse avec la même constance.  On l’utilise surtout quant on se trouve devant une situation incompréhensible: des musées gratuits, des files ordonnées devant les guichets, des coupures d’électricité fréquentes dans la capitale du pays qui est encore le plus puissant du monde. On pourrait très bien la ressortir à propos de la fameuse falaise fiscale (fiscal cliff) dont la presse a beaucoup parlé à l’occasion de l’élection présidentielle et dont elle reparlera lorsque l’échéance se rapprochera.

De quoi s’agit-il? D’une méthode fort originale de résoudre un conflit. Originale parce qu’il faut des institutions et des traditions solides pour qu’elle soit crédible. Typiquement, elle peut être utilisé lorsque  deux camps ne s’entendent pas sur une question; ils s’accordent alors sur une solution temporaire, tout en sachant que, dans peu de temps, ils se retrouveront dans une situation encore plus difficile qui les obligera cette fois à un compromis durable.

L’exemple le plus parlant de cette méthode est l’accord fiscal obtenu en 2001 par G.W. Bush pour alléger la pression fiscale pesant sur les ménages et les entreprises américaines et limiter les dégâts de l’effondrement de la bulle des dotcom. Les démocrates qui avaient la majorité au sénat s’y opposaient. Pour obtenir leur accord, il avait été décidé que les allègements disparaîtraient au bout de 10 ans. Ainsi de 2001 à 2011 les droits de succession ont diminué de 10% chaque année. Le 31 décembre 2010, ils avaient disparu et le 1er janvier 2011 ils retrouvaient leur niveau de 2001.C’était intolérable pour les Républicains certes, mais aussi pour les démocrates qui trouvaient le minimum taxable beaucoup trop faible suite à l’inflation et à la croissance de la décennie écoulée. Il fallait trouver une solution. Obama qui n’avait pas la majorité à la Chambre des représentants et qui, de surcroit, avait besoin de l’accord des républicains pour relever le plafond d’endettement autorisé, accepta un nouveau compromis qui vient à échéance le 31 décembre 2012. Les droits de succession ont été fort allégés puisque pour un couple le seuil d’imposition est maintenant de 10 millions de dollars. Qu’arrivera-t-il à l’échéance, d’ici six semaines ? C’est cette situation qui a été qualifiée de falaise ou plus exactement de précipice fiscal. En effet si aucun accord n’est trouvé les dépenses publiques seront réduites et les recettes augmentées de manière équilibrée afin de diminuer les déficits publics (plus de $7.000 milliards en 10 ans), et de réduire de manière substantielle la dette publique. Si elle devait être appliquée en l’état, cette politiqué précipiterait l’Amérique dans une profonde récession, d’où l’expression de précipice.

Si Obama avait réussi à regagner la majorité à la chambre des représentants, il aurait pu imposer une solution davantage soucieuse d’équité. Comme il a besoin de l’appui des Républicains dont certains ne veulent pas entendre parler d’augmentation des impôts, ce compromis sera dur mais inévitable. On peut en effet se dire que les républicains, particulièrement ceux du Tea Party, sont extrémistes mais pas suicidaires.

Il n’en demeure pas moins que cette méthode en deux temps pour obtenir une solution difficile, est intéressante. On pourrait peut-être l’utiliser pour résoudre les problèmes institutionnels belges, pour réformer la sécurité sociale française, pour démêler l’imbroglio palestinien ? Cela vaut la peine d’y réfléchir. Nous deviendrions alors nous aussi des fous romains.

jeudi 22 novembre 2012

Principe de précaution

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Pierre Pestieau

Début novembre une conférence sur le thème : Faut-il en finir avec le principe de précaution ? a eu lieu à Paris. Les universitaires se moquent souvent de journalistes et de leurs marronniers. Ils ont aussi les leurs : régulièrement cette thématique du principe de précaution revient avec des avis souvent diamétralement opposés alors qu’il s’agit d’un principe de bon sens, qui me rappelle un sujet de dissertation qui remonte à mes années de lycée. Il était tiré de Vol de Nuit d’Antoine de Saint-Exupéry : « La grandeur de ma civilisation, c'est que cent mineurs s'y doivent de risquer leur vie pour le sauvetage d'un seul mineur enseveli ». J’étais fasciné par cette phrase mais surtout par son antithèse que je m’étais fabriquée: « La grandeur d’une vie est de la sacrifier pour sauver celle de cent mineurs ».

L’ouvrage Théorie de la Justice du philosophe américain John Rawls (1) a été suivie d’un débat important sur l’arbitrage entre progrès et respect de la vie. Selon Rawls, un des principes fondamentaux de la justice est de mettre l’accent sur le bien-être des plus défavorisés. Poussé à son extrême, ce principe interdit toute initiative qui pourrait augmenter le bien être d’un grand nombre d’hommes sous prétexte qu’un seul pourrait y perdre la vie.

Cette discussion sur le principe de justice de Rawls précède celle du principe de précaution. Si j’en crois Wikipedia, le Pic de la Mirandole des temps modernes, ce principe est formulé pour la première fois en 1992 dans la Déclaration de Rio qui a fait suite à une conférence sur l’environnement: « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement ».

Dans les trois principes que je viens de citer (Saint-Exupéry, Rawls et Rio), je ne trouve pas gênant qu’il y ait débat. Ce qui l’est en revanche, c’est de voir des lobbys plus ou moins déclarés s’en emparer pour défendre des intérêts financiers ou politiques on ne peut plus partisans. On vient encore de le voir dans le débat sur les médicaments nocifs, les OGM ou sur l’avenir du nucléaire.

Suite à l'affaire Médiator, le grand public a pris conscience de l'emprise des firmes pharmaceutiques sur l'information à propos des médicaments. Les firmes mettent en valeur les effets thérapeutiques bien plus que les effets indésirables et un produit peut rester longtemps en pharmacie alors qu'il est dangereux. Le débat plus récent sur le rapport Seralini de l’Université de Caen sur de la nocivité des OGM a mis en évidence cette asymétrie entre les recherches partisanes financées par l’industrie, en l’occurrence Monsanto, et les recherches prétendument objectives que tentent de mener des associations de consommateurs et autres groupes indépendants. Le débat sur le nucléaire me semble plus complexe aussi longtemps que l’on s’inscrit dans la logique du toujours plus.

L’ouragan récent Sandy (2) nous remet ces beaux principes à l’esprit. L’image de Staten Island (3), dévastée par la tempête, et les eaux dans le pays le plus riche du monde, dans la ville qui fait rêver la terre entière, était désolante. Les pertes de vies humaines et les dégâts matériels énormes auraient pu être évités au nom du principe de précaution, mais cela aurait privé de nombreux sauveteurs d’illustrer la réflexion de Saint Ex.

Le monde est décidemment trop compliqué.

 (1) John Rawls, A Theory of Justice, Harvard University Press, 1971.
(2) Qui a sans doute fait moins de dégâts que l’ouragan Stéphanie qui s’est abattu sur la France en 1986 (réflexion pour les amateurs de chanson française).
(3) Un des cinq arrondissements (borough) de la ville de New York.

Ne croyez pas (trop) ce que certains scientifiques vous racontent

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Victor Ginsburgh

Les débats sur les effets de l’agriculture et de la viticulture biologique font rage. Comme les « études basées sur les études », aussi appelées meta-études, des sortes de compilations d’études existantes, sans aucun apport nouveau, si ce n’est du meta.

Pourquoi cette liaison ? Parce que les deux sont à la mode, mais surtout parce que deux meta-analyses d’études sur les bienfaits (ou méfaits) de l’agriculture biologique ont paru en l’espace de 18 mois, l’une, en avril 2011, écrite par des scientifiques de l’Université de Newcastle, Angleterre (1), l’autre par des chercheurs tout aussi scientifiques de l’Université Stanford, Etats-Unis, en septembre 2012 (2).

L’article du New York Times (3) qui résume le débat signale que l’étude anglaise n’a pas fait beaucoup de vagues. L’étude américaine, pratiquement basée sur les mêmes articles que l’étude anglaise, en a par contre fait, d’autant plus que ses conclusions contredisent celles de la première !

Pour être honnête, je préfère les conclusions américaines qui suggèrent que les aliments biologiques ne sont pas plus nutritifs que les autres, mais plus chers.

Cependant…

Cependant, d’une part le rapport américain ne tient aucun compte des pesticides utilisés dans l’agriculture traditionnelle, ni de leurs effets sur la santé des fermiers et sur l’environnement. Et les très altruistes acheteurs de produits biologiques prétendent qu’ils sont prêts à payer pour réduire ces effets.

Et d’autre part, les études de base sont utilisées différemment dans les deux meta-analyses. Il n’y a, disent les chercheurs qui utilisent ce genre de méthodes, aucune qui soit meilleure que les autres. Chaque groupe y prend un peu ce dont il veut se persuader, en utilisant les données de base à son avantage afin de jeter, par la même occasion, un pavé dans la mare de l’autre.

Les deux groupes annoncent quand même certains résultats comparables. Pour la plupart des vitamines et des éléments minéraux, il n’y a guère de différence entre biologique et traditionnel, si ce n’est, dans une des deux meta-analyses, un modeste accroissement en vitamine C dans les aliments biologiques. Les deux études trouvent aussi que les légumes biologiques contiennent plus de phénols, dont on pense qu’ils préviennent notamment les cancers, mais la meta-analyse de Stanford trouve le résultat peu fiable, parce que les gains en phénol décelés varient très fortement entre les études de base.

Mais surtout, la meta-étude de Stanford semble avoir confondu flavonols (que l’on trouve dans le cacao ou le thé vert et qui protègent aussi contre le cancer) et flavonoïdes, une classe plus large dont font partie les flavonols. Elle trouve que le contenu des flavonoïdes est identique dans les aliments biologiques et les autres. En fait, ce sont les flavonols qu’elle aurait, selon les auteurs de la meta-étude anglaise, dû prendre en compte. Cela ne change pas nos résultats disent les américains.

Il ne semble pas y avoir d’intervention de l’industrie dans ce débat, contrairement à celui dont Pierre Pestieau parle dans l’article qui précède. Il s’agit plutôt d’un débat entre des sçavants de Molière.

Le diable est dans les détails. Et maintenant, comme dit la marionnette qui représente Poivre d’Arvor dans le bébête show de Canal Plus, éteignez votre télévision.  Et surtout, n’écoutez plus et ne lisez plus les résultats de certaines études scientifiques.


 (1) K. Brandt, C. Leifert , Sanderson R, and C.J. Seal (2011), Agroecosystem management and nutritional quality of plant foods: The case of organic fruits and vegetables, Critical Reviews in Plant Sciences 30, 177-197.
(2) M. Brandt, Little évidence of health benefits from organic foods, Stanford Study finds, Voir http://med.stanford.edu/ism/2012/september/organic.html
(3) Kenneth Chang, Parsing of data led to mixed messages on organic’s food value, New York Times, October 15, 2012. Voir http://www.nytimes.com/2012/10/16/science/stanford-organic-food-study-and-vagaries-of-meta-analyses.html?_r=0

jeudi 15 novembre 2012

Philosophie à l’Ecole Primaire?

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Victor Ginsburgh

« La commission de l’Éducation du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles entamera le 23 octobre 2012 une série d’auditions sur le projet d’un tronc commun aux cours de religion, philosophie et morale dès l’école primaire (1) ».

De Charybde en Scylla.

Durant le troisième trimestre de la deuxième année primaire, j’ai été amené à suivre un cours de religion (protestante). Le cours commençait par des chants et se terminait, sans doute comme les autres cours de religion chrétienne à l’époque, par une distribution d’images saintes que nous devions insérer dans notre livre de prières. Mais au moins j’avais appris quelque chose sur la musique, qui, aujourd’hui, ne fait plus du tout partie de l’enseignement.

En troisième primaire, je me suis enfui du cours de religion que je trouvais d’un ennui incommensurable et suis allé au cours de morale. Je  mentirais si je disais que c’était mieux. Sauf une seule fois durant les 10 ans et un trimestre de mes études primaires et secondaires.

En quatrième primaire. 

Le cours de morale était fait par notre instituteur (catholique), qui réunissait les trois élèves inscrits : deux filles et moi. Il nous faisait cours en plein air, dans un joli pavillon au toit de chaume, et nous étions assis en rond sur un banc. Programme de ce jour-là : « Je vais poser à chacun de vous une question qui sera facile pour le premier, plus difficile pour le second et très difficile pour le troisième d’entre vous. Que celui ou celle qui veut commencer lève le doigt ». Et le doigt qui se lève avant qu’il n’ait fini de parler, est le mien… Un moment de honte, mais un vrai cours de morale jamais oublié, le seul important de ma vie.

Je n’ai ni le droit ni l’envie de dire s’il faut remplacer les cours de religion par autre chose. Mais plutôt que d’entendre des âneries du cours de morale, de l’organisation des élections belges, à la gestion des communes belges en première année de lycée — au Congo, qui était belge à l’époque, mais quand même ! — pour encaisser en dernière année dans le même lycée, une demi-heure sur Platon, suivie (ou précédée) d’une demi-heure sur Socrate, pour arriver en haletant après un grand nombre de demi-heures, à Locke et Hume en passant par Spinoza — 15 minutes, sans doute le professeur de morale ne l’aimait pas trop — et en ne comprenant rien, c’était un peu beaucoup.

Et si on remplaçait les cours de morale par des cours de culture sur les civilisations non européennes ? La Chine (et les comptoirs brutaux installés par les Européens qui ont aussi engendré l’usage et la Guerre de l’Opium), l’Inde (et les blondinets colons et colonels britanniques), l’Amérique du Nord (et les tueries d’Indiens par les descendants des gentils pèlerins du Mayflower), le Mexique (et les horreurs perpétrées par les conquistadors espagnols),  l’Amérique du Sud (et les mensonges de Pizarro à l’Inca Atahualpa, au nom de la chrétienté), le Congo et l’Afrique en général (avec les abus de la colonisation belge, britannique, française, hollandaise, portugaise), les pays arabes et leur apport culturel à l’Europe à partir du 8e siècle de notre ère, dont on ne voit aujourd’hui que le mauvais côté des choses.

Avec un avantage important puisque tout ceci peut, pour ceux qui s’installent bien au chaud près des radiateurs, être illustré facilement par Le Lotus Bleu, Tintin en Amérique, Le Temple du Soleil, Tintin au Congo, L’Or Noir et bien d’autres aventures.

(1) La presse en général et en particulier L’avenir.net, 9 octobre 2012 http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20121009_00215788

De la solidarité à l’égalité

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Pierre Pestieau

Il y a quelques années, je faisais à Paris une conférence et y dénonçais la règle assurantielle inspirée par le Chancelier Bismarck (1815-1898), selon laquelle le retraité touche une prestation qui est proportionnelle à ses contributions, empêchant ainsi toute redistribution en faveur des petites retraites.  Pris d’un pathos inhabituel, je concluais par un : « Solidarité, que d’injustices n’a t-on commis en ton nom ! ». A la fin de cette conférence, je un syndicaliste de la CGT m’a interpellé ; je crois me rappeler qu’il s’agissait de Jean-Christophe Le Duigou. Tout aussi fermement que courtoisement, il me fit la leçon : la sécurité sociale à la française doit être conçue comme un « compact » qui relie entre eux les affiliés comme sont reliés les membres d’un équipage. Chacun, du mousse au capitaine, connaît sa place ; il est animé par un seul souci, celui d’acheminer le bateau à bon port. En cas de pépin, chacun prend sa part, risque sa vie pour l’ensemble des hommes d’équipage. Le calme revenu chacun retrouve sa place, son revenu, sa tambouille et sa cabine, qui peut être confortable pour l’un et se réduire à un hamac pour l’autre. Et de conclure que le but n’est pas de redistribuer mais de vivre en solidarité. La sincérité de mon interlocuteur était évidente mais elle se heurtait à ma conviction selon laquelle une société doit avant tout être faite d’équité et de justice, vertus qui ne lui semblaient pas prioritaires.

Comme dans beaucoup de débats, nous avions peut-être raison tous les deux mais à des moments différents. Lui se raccrochait à un modèle social issu de la guerre où l’idée de solidarité allait permettre de reconstruire le pays. Chacun garderait sa place mais serait assuré d’une large protection sociale contre les risques de la vie. Ce qui donna lieu aux quatre branches de notre sécurité sociale : (i) la branche maladie (maladie, maternité, invalidité, décès) ; (ii) la branche accidents du travail et maladies professionnelles ; (iii) la branche vieillesse et veuvage (retraite) ; et (iv) la branche famille. Ce modèle social était basé sur le paritarisme ; l’Etat et la redistribution y jouaient un rôle minime. Il subsiste encore aujourd’hui dans certains aspects. Beaucoup de Français de gauche ne trouvent pas choquant que certains touchent des indemnités de chômages élevées et que les allocations familiales ne soient pas soumises à l’impôt sur les revenus.

Progressivement, en l’espace de plus de 60 ans, ce modèle a évolué ; les esprits aussi. Le principe Bismarckien de prestations liées aux contributions passées a laissé la place au principe Béveridgien (Lord Beveridge, 1879-1963) de prestations uniformes indépendantes des cotisations ; l’Etat intervient de plus en plus dans les négociations paritaires (parasitaires, comme les appelle mon ami co-blogueur). La croissance des inégalités et de la pauvreté a obligé l’Etat à introduire des mécanismes d’aide aux pauvres (les minima sociaux) et de redistribution (plafonnement des prestations et non des cotisations, intervention du Trésor pour financer les droits dérivés). En un mot, nous avons aujourd’hui un modèle social où le concept de solidarité est beaucoup moins prégnant et a laissé la place à celui de redistribution.

Dans cette évolution la France est sans doute moins avancée que la Belgique mais les deux pays semblent suivre des parcours semblables. Les graves difficultés budgétaires actuelles   combinées à un courant libéral important obligent l’Etat à réduire sa voilure et à s’appuyer de plus en plus sur le secteur privé, qui lui ne peut offrir ni solidarité, ni équité.

Une des conséquences de cette évolution est que la performance de notre Etat providence ne doit pas être mesurée à la même aune aujourd’hui qu’en ses débuts. Ses missions ont changé ; elles couvrent la lutte contre les inégalités, le chômage et la maladie et favorisent  l’éducation. 

Missions qui se prêtent mieux à la quantification que la solidarité.